Point capital de ces « scènes de la chambre noire » : le photographe est aussi, dans le cadre, le seul personnage masculin. Grand ordonnateur de ces mises en scène, ce double diablement imaginatif et pervers semble vouloir rendre la folie à sa plus ambitieuse expression, qui est l'Art. L'espace de la photographie, parfois démultiplié en surface l'est aussi en profondeur, et ce rapport double du photographe à son sujet n'est pas le moindre de ses jeux de miroirs. Comme l'écrit Jacques Henric(1), « l'artiste qui mettait en place de façon méticuleuse ces compositions formidablement élaborées destinées à provoquer à chaque déclic de l'obturateur une déflagration dans la pensée, (…) cet homme était aussi l'austère dompteur gominé dressant dans leur cage une ménagerie humaine évadée de quelque cercle de l'Enfer de Dante ». Un magicien de l'autodérision qui dans un tour de passe-passe métamorphose les scènes les plus impertinentes en un joyeux délire.
Le travail INSIDE, s'attache plus particulièrement à l'ambiance trouble liée aux non-dits de l'histoire familiale - une histoire qui se construit sur un vrai « bordel », sulfureux, issu de révolutions, se perdant dans les guerres, s'épanouissant dans les arts, se révélant par bribe.
Un grand-père, Jean Fontenoy(2), journaliste, opiomane, aventurier de la politique, du communisme à la collaboration, disparu à Berlin en 1945 ; sa femme roumaine, Lizica Codréano(3), danseuse de l'avant garde parisienne, amie de Brancusi et liée à Hans Bellmer. Son autre grand père, lui juif, marié à une russe blanche, elle mannequin pour la haute couture.
Fontenoy, imprégné par ces personnages dignes d'une fiction, crée autant de rêveries - mélanges de symboles, détails factuels, objets du passé glanés ici ou là, ou autres images fantasmées. Sur une photographie emblématique (#930), un homme fumant une pipe, une femme mystérieuse et douce à ses côtés, et quelques éléments suggérés ou un peu cachés : ici l'image des suppliciés chinois apparaissant dans le miroir (à la fois collectionnée par Jean Fontenoy et thématique chère à Bataille), là un livre disparaissant sous le lit (qui peut savoir qu'il s'agit de Shanghai Secret écrit par le même Jean Fontenoy) ; et certainement d'autres histoires… Paradoxalement, en dévoilant ses délires intimes, le photographe s'attache à garder une certaine pudeur.
Toujours cette forme de citation discrète, comme pour rendre hommage. Une certaine déférence à tous ceux qui ont construit son imaginaire : sont ainsi convoqués Hans Bellmer, E.J. Bellocq, Auguste Belloc, Fragonard, Pierre Klossowski, Balthus, Kertesz, Lucian Freud, Helmut Newtown, Pierre Molinier, Hyppolite Bayard...
Jeu aussi dans le dispositif scénographique, Frédéric Fontenoy aime à interroger la perception des corps. Ses petits formats, dans lesquels tout est détail, créent une relation très intime avec le spectateur. Perception très différente face à des personnages en taille presque réelle sur les plus grands formats…
(1) Jacques Henric, Frédéric Fontenoy, Photographies 2006-2011, Alkama, 2011.
(2) Gérard Guégan, Fontenoy ne reviendra plus, Stock, 2011 (prix Renaudot de l'essai).
(3) Doïna Lemni, Lizica Codreano, une danseuse roumaine dans l'avant garde parisienne, Fage, 2011.
Eléments techniques
Les photographies sont réalisées à la chambre 4x5 inch, sur film Polaroid 55, le négatif servant à faire les tirages.
Tous les tirages argentiques de Frédéric Fontenoy, sont réalisés par Diamantino Labo Photo, à l'agrandisseur.
INSIDE
#930
Frédéric Fontenoy travaille depuis ses premières séries sur la représentation du corps, considérant le geste photographique comme démarche artistique en soi. Dès « Métamorphose » en 1988, il se joue de la référence au réel liée à ce médium, et se réfère volontiers aux distorsions d'André Kertesz et à « L'Anatomie de l'image » de Hans Bellmer.
C'est en 2006 qu'il entreprend un travail fictionnel mêlant, dans des scènes intimes, l'histoire des avant-gardes artistiques et politiques de la première moitié du vingtième siècle à un érotisme aussi subtil que puissant. On reconnaît, parmi les symboles dont joue Frédéric Fontenoy, des évocations de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que nombre de citations de travaux surréalistes : l'espace de la photographie s'inscrit ainsi dans des temps simultanés et fait appel à l'inconscient collectif.